31 March 2007

Franchement, je perds mes repères


Par Zheng RUOLIN
QUOTIDIEN : samedi 31 mars 2007
ZHENG Ruolin, correspondant de «Wen Hui Bao», quotidien national de Shanghai

Douze candidats, dont cinq trotskistes ou d'extrême gauche ! Comment expliquer aux lecteurs chinois ce phénomène unique dans le monde occidental ? Pour la troisième fois que j'observe l'élection présidentielle française, après un duel imaginaire Balladur-Chirac en 1995, puis le «séisme d'extrême droite» en 2002, je croyais avoir tout vu, tout entendu. Rien ne pourrait plus m'étonner. Erreur ! Cette fois, avec un Sarko qui cite Jaurès, une Ségo qui prône l'encadrement militaire des jeunes délinquants, un Bayrou ni droite ni gauche et un certain Schivardi d'extrême gauche qui, sur l'Europe, rejoint l'extrême droite de Le Pen, je perds franchement tous mes repères. Et je compatis avec les quinze millions d'électeurs indécis, qui ont de quoi l'être... De Le Pen à Besancenot, c'est le même constat catastrophique : la France est au bord du crash, il faut un pilote pour sauver l'avion ! Le plus frappant, pour un observateur originaire des pays dits émergents, c'est que les candidats au poste de pilotage semblent ignorer ce qui se passe en dehors de l'avion !
Au moment où la plupart des pays du monde, y compris les voisins européens de la France, accueillent la mondialisation comme une opportunité historique et travaillent plus, pas forcément pour gagner plus, mais simplement pour renforcer leur compétitivité, les pilotes potentiels de la France la dirigent vers son nombril. Que la plupart des candidats à la présidence de la cinquième puissance du monde ne connaissent apparemment ni la Chine ni l'Inde est quand même ahurissant! Le seul à mettre la mondialisation au coeur de son programme, c'est le monsieur altermondialiste, José Bové...
Bien que la diplomatie et la défense soient des domaines réservés du président, ces deux thèmes sont presque absents du débat. Serait-ce qu'il n'y a plus de De Gaulle ni de Mitterrand ? Ou que ces deux sujets ne rapportent pas de voix ? Les Chinois n'ayant pas encore la chance d'élire leur leader, ils ne connaissent certes pas le jeu de la démocratie. Mais à suivre votre excellent feuilleton télévisé électoral, vient le soupçon que, dans la démocratie élective, dire toute la vérité aux électeurs, c'est perdre toute chance d'être élu. La démarche des prétendants à l'Elysée est curieusement identique : ne jamais dire que le modèle français a un problème, prétendre toujours que le mal vient d'ailleurs. Le bouc émissaire sera l'immigration pour Le Pen, le système capitaliste pour Besancenot, la mondialisation pour Bové...
L'horloge des trotskistes s'est arrêtée au XIXe siècle. On m'explique que le temps de parole devient équitable après le dépôt de 500 signatures d'élus. Mais le problème, c'est qu'entendre cinq fois les théories de l'extrême gauche n'est plus tout à fait «équitable» ! En attendant, l'avion continue à voler tant bien que mal, piloté par deux malheureux oubliés : Chirac et Villepin...

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